La démarche RSE, devenue incontournable pour les professions libérales : contribution de Bénédicte Bury aux « Grands Entretiens : Regards croisés sur le monde libéral », le numéro Hors Série d’Onlib Infos paru en décembre 2023.

À l’occasion des 2 ans de Onlib’Infos, Interfimo a publié un numéro hors-série reprenant les Grands entretiens parus dans cette newsletter depuis deux ans. Ce numéro exceptionnel offre une vision transversale des enjeux qui touchent les professionnels libéraux ainsi que des mutations profondes auxquelles ils sont confrontés, quel que soit le secteur d’activité.

Retrouvez ci-après la contribution « Professions libérales : enjeux et impacts de la démarche RSE » de Bénédicte Bury à ce numéro, enrichie des liens utiles mentionnés au fil de l’entretien.

Grands Entretiens OnLibInfos Bénédicte Bury

Comprendre les enjeux et les impacts de la démarche RSE pour les professions libérales

  • Quelle est l’approche des professions libérales face aux exigences en matière de Responsabilité Sociétale et Environnementale (RSE) ?
  • En quoi la RSE peut-elle être un critère d’attractivité ?
  • Quel impact sur la mission de conseil du professionnel et quels défis pour mener une politique RSE, créatrice de valeur pour l’entreprise ?

OnLib’Infos a recueilli l’expertise de Bénédicte Bury, avocate au Barreau de Paris et présidente de l’UNAPL Île-de-France

Les professions libérales sont-elles, par nature, sensibilisées aux problématiques RSE ?

Chaque profession libérale a ses spécificités mais on peut considérer qu’elles sont généralement dotées de fortes expertises techniques qui leur permettent de rendre des services essentiels dans des situations complexes, et qu’elles se soumettent de plus en plus à des règles de conduite émises par leur communauté de pairs afin d’assurer la protection du public même lorsqu’elles ne sont pas réglementées.

Une structure syndicale, par exemple, qui établit des règles et contribue à la formation de ses membres assume ainsi la responsabilité d’une mission sociale.

Il a été souligné le rôle clé de ces métiers de la vie dans l’économie, vecteur d’humanisme dans un monde d’incertitudes et leur capacité à s’adapter aux besoins en s’appuyant sur la confiance et la proximité. La Commission et le Parlement européen ont reconnu leur contribution particulière à l’intérêt général avec indépendance.

Comment les professions libérales abordent-elles aujourd’hui l’intégration d’une politique RSE ?

Nos professions à l’impact social « naturel » sont conscientes de leur potentiel d’attractivité pour les jeunes générations en quête de plus d’autonomie, plus d’horizontalité de ces métiers, plus de sens et prêtes à prendre des risques. Ainsi, se sont affirmées prédisposition et opportunité de développement entrepreneurial favorisées par des financements, comme par des clients de plus en plus attentifs à l’engagement dans une démarche de responsabilité sociale. Il reste que la démarche représente un investissement qu’il y a lieu de proportionner à la taille de chacun et ses spécificités pour lui donner plus d’agilité.

La démarche RSE a pris un élan en France avec la loi Pacte promulguée le 22 mai 2019 introduisant un second alinéa à l’article 1833 du Code civil ainsi libellé : « La société doit être gérée dans son intérêt propre en considérant des enjeux sociaux et environnementaux de son activité » et en permettant aux entreprises de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts, voire de devenir « société à mission ».

À chacun sa démarche de responsabilité sociale, elle n’est pas réservée aux grandes structures et les professionnels libéraux y viennent progressivement.

À l’heure où les professions réglementées s’ouvrent de plus en plus à la publicité et au marketing, en quoi la RSE est-elle un critère d’attractivité et pour qui ?

Les actions entreprises en matière de responsabilité sociétale et environnementale constituent sans doute un facteur de différenciation et de compétitivité.

L’écosystème devient très attentif pour exercer ses choix :

  • Le choix de produits ou services pour les clients auprès d’entreprises engagées dans une démarche responsable ;
  • Le choix d’entreprises à sélectionner par les fournisseurs (notamment constaté dans les appels d’offre) ou à accompagner par les financeurs. Il se développe de nouveaux produits de la finance durable, notamment les crédits à impacts positifs avec incitation à la performance globale par l’évolution d’un taux qui en tient compte. L’engagement dans un développement durable de son entreprise est un gage de crédit, consubstantiel au financement.
  • Le choix d’environnement de travail pour les collaborateurs qui rechercheront des cabinets dotés d’une politique d’égalité, diversité, équilibre vie professionnelle/ vie personnelle, d’initiatives tangibles pour favoriser par exemple des actions pro bono dans lesquelles ils puissent s’investir.

Pour les jeunes aujourd’hui, l’entreprise idéale doit s’engager sur certains sujets de sociétés, tels que : l’environnement, comme le disent 29 % des jeunes interrogés, la lutte contre les discriminations pour 27 %, la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes (25 %)

Qu’il s’agisse de professions du droit, du chiffre ou de la santé, quelles sont les actions concrètes aujourd’hui mises en place ?

Chez les avocats nous pouvons prendre l’exemple du Cabinet Filor, engagé depuis 2009 dans une action pragmatique, ayant d’abord consisté, comme expliqué par Sophie Ferry, associée et membre du Conseil National des Barreaux, à procéder à un bilan carbone afin de mesurer l’empreinte, puis déterminer un objectif de diminution des dépenses d’énergie avec mise en place d’audits.

Les membres du cabinet partagent cette « fibre écologique » et ils ont chacun contribué aux choix des actions dans une dynamique collective de croissance éco-responsable : mise en place du recyclage des déchets, politique de minimisation d’impression, recyclage des papiers de bureau avec une association de la Croix-Rouge, changement des Led, extinction des lumières et ordinateurs entre les pauses, achat de deux machines à café à grain à disposition gratuite des salariés (éviter les dosettes et capsules), commandes de légumes locaux et bio chaque semaine, réglage du chauffage et changement de thermostat pour les open-spaces dans le cadre de leur politique de sobriété énergétique.

Dans le domaine de l’expertise comptable, Hervé Gbego, Président du Comité de normalisation extra financière et RSE au Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables a présenté les principales méthodes de reporting RSE et de comptabilité socio-environnementales, dans un livre blanc destiné à guider le lecteur vers la démarche de comptabilité environnementale et sociale la plus adaptée à son entreprise. Certaines de ces méthodes relèvent d’une approche extra-financière, d’autres d’une approche financière pouvant aller jusqu’à la production d’états financiers totalement intégrés.

Le pharmacien, acteur de proximité, est mobilisé pour s’engager dans des actions RSE. Pharma Système Qualité, par exemple, anime une groupe pilote « ECOR » depuis 2020 et propose à toutes les pharmacies engagées ISO 9001-QMS Pharma un kit d’outils écoresponsables depuis février 2021.

Il s’agit d’un guide de bonnes pratiques thématiques destiné à :

  • diminuer les impacts environnementaux de l’officine en amplifiant les bonnes pratiques existantes », en ciblant de nouvelles actions concrètes et relever le défi de la neutralité carbone ;
  • impliquer l’équipe dans un projet fédérateur et « pas à pas »
  • renforcer l’image de la pharmacie auprès des patients-clients soucieux de santé environnementale » par exemple par la vente d’éco-produits, cosmétique naturelle, la parapharmacie bio.
Mon Guide Ecoresponsable  Pharma Système Qualité
Mon Guide Ecoresponsable  Pharma Système Qualité

Comment la construction d’une démarche RSE peut-elle impacter la valorisation de l’entreprise concernée ?

Ainsi que le relève le rapport d’information du Sénat du 27 octobre 2022, « la RSE est la matrice de la transformation profonde de l’entreprise. Au-delà de la compliance, qui s’assure du respect formel des normes, c’est un vecteur de durabilité de l’entreprise, qui garantit sa résilience. La fourniture d’une information financière et extra-financière qui indique comment l’entreprise conjugue performance économique et performance sociale, sociétale et écologique, conditionne désormais son accès au financement. »

L’incidence de la RSE « incarnation micro économique du développement durable », aura une incidence également sur la valorisation des entreprises libérales, notamment de leur capital immatériel au cœur de la création de valeur de l’entreprise par la prise en compte de la qualité de la gestion des talents, les liens et synergies entre gestion des compétences et innovation, gestion des connaissances et savoir-faire. Reste à convaincre l’environnement de l’entreprise de la réalité de la démarche. Il convient ainsi de disposer de moyens de preuve de ce qui est entrepris et d’en mesurer les effets, comme la manière dont l’entreprise en tient compte pour progresser.

C’est ainsi que certaines entreprises vont faire le choix d’une labellisation, comme le label engagé RSE de l’Afnor ou des labellisations sectorielles, par exemple, Lucie R&S, responsabilité & santé dans le secteur de la santé à domicile et le secteur médico-social engagé.

Certaines pharmacies ont fait le choix de la labellisation, Cosmebio, Natru, Cosmeco…. Il existe également des certifications, comme BCorp, UN Glo-bal Compact, Happy to work, destinées, comme les labels, à suivre l’intégration des engagements dans le fonctionnement de l’entreprise.

Quels sont les nouveaux défis auxquels sont confrontés les professionnels libéraux dans leur mission de conseil ?

La RSE est une stratégie de création de valeur partagée avec son écosystème.

Pour Fabrice Bonnifet, Président du Collège des directeurs de développement durable (C3D) « le défi, pour les entrepreneurs, est de créer de la valeur partagée pour les clients, les actionnaires, les collaborateurs, la société civile, au travers de business model générant des externalités positives (améliorer la qualité de vie et la santé des personnes, réduire les inégalités, régénérer les écosystèmes…). L’entreprise contributive a l’ambition de transformer chacun de ses impacts sociaux et environnementaux pour qu’ils soient net positifs. »

Il ne s’agit donc plus seulement de la réduction des impacts négatifs mais de la création d’impacts positifs.

Ainsi, une entreprise libérale détermine une stratégie de développement pour s’assurer en dialogue avec les parties prenantes, clients, collaborateurs, etc., de la pertinence de ses orientations en termes d’impact.

« Les professionnels libéraux, chacun dans son domaine d’activité ou en interprofessionnalité, sur un secteur comme celui du lieu de vie peuvent travailler ensemble, grâce, par exemple, à des ateliers de formation ou des formations à l’attention du public dans une perspective de sensibilisation et de dialogue avec leur environnement.»

Qu’est-ce que cela implique en pratique ?

Prenons l’exemple des architectes : leur engagement peut se traduire à travers la qualité de la gouvernance et de la vie au travail, dans leurs interventions sur le choix de projets à impacts, d’une charte « chantier propre », un management éthique et participatif avec les parties intéressées à la construction, par exemple les BHEP, bâtiments hybrides à économie positive.

Ils sont en mesure d’agir très concrètement en favorisant la création des bâtiments à faible consommation d’énergie ou la rénovation thermique des bâtiments existants avec des énergies renouvelables.

Cette profession peut jouer un rôle clé dans la lutte contre le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité. La démarche RSE peut être entreprise quelle que soit la taille du cabinet ainsi que le démontre, par exemple, ZA consulting en déployant sa vision « Faciliter l’accès à un habitat digne, fonctionnel et écologique ».

Les professionnels libéraux, chacun dans son domaine d’activité ou en interprofessionnalité, sur un secteur comme celui du lieu de vie (avocats, architectes, notamment architectes d’intérieur, conservateurs restaurateurs, géomètres-experts, notaires, économistes de la construction, conseillers en financement de la transition énergétique, et tous les nouveaux métiers qui n’existent pas encore et se développeront pour servir les enjeux sociaux et environnementaux), peuvent travailler ensemble, grâce, par exemple, à des ateliers de formation ou des formations à l’attention du public dans une perspective de sensibilisation et de dialogue avec leur environnement.

Éthique, déontologie et politique RSE : aspects distincts ou complémentaires ?

Éthique et déontologie sont très liées, distinctes et complémentaires de la responsabilité sociale.

  • La responsabilité correspond à l’obligation de répondre de ses actes, les justifier en fonction de normes et valeurs et d’en assumer les conséquences. L’éthique est un ensemble de normes morales guidant la décision individuelle.
  • La déontologie est un ensemble de règles professionnelles, code de conduite pour l’exercice des métiers et qui s’applique à tous les professionnels concernés.
  • La RSE est la responsabilité de mettre en œuvre le développement durable à son échelle d’entreprise. Elle comporte plusieurs volets, social, environnemental et de gouvernance.

Dans la norme Iso 26000, l’entreprise est tenue d’élaborer des « structures de gouvernance qui contribuent à promouvoir un comportement éthique au sein de l’organisation » et dans les interactions avec les parties prenantes.

Chaque entreprise, dans le cadre de sa démarche RSE et quelle que soit sa taille, peut ainsi se doter d’une politique éthique et, concomitamment, d’une démarche déontologique afin de se donner les moyens de l’application de règles, imposées dans les professions réglementées ou choisies dans les professions qui ne le sont pas.

La RSE fait converger l’ensemble de nos entreprises, guidées par leur raison d’être.

Bénédicte Bury, avocate au Barreau de Paris et présidente de l’UNAPL Île-de-France

Entretien Publié le 20 Décembre 2022 – Onlib’Infos n°16