Analyse de Jurisprudence Bancassurance

Mots clés

Contentieux européen et international  – compétence juridictionnelle  – transfert de fonds –  responsabilité de la banque  – exception d’incompétence  – Bruxelles – lieu du fait dommageable

L’essentiel

En cas de transfert irrégulier de fonds, le lieu du fait dommageable, au sens de l’article 7.2° du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 pour déterminer la compétence, est celui où l’appropriation alléguée des fonds s’est effectuée.

Auteur

Bénédicte Bury, avocate associée au Barreau de Paris, Avocap 2.2, ancien membre du Conseil national des barreaux

Analyse

L’analyse complète de cette jurisprudence est parue dans la Gazette du Droit bancaire N°07 du 19 février 2019 : De la compétence juridictionnelle internationale appliquée aux litiges nés des opérations sur le Forex


La décision (texte intégral)

CA Paris, 5-6, 19 oct. 2018, no 18/08782,

M. Thierry H. c/ Établissement Danske Bank, Mes Bernard-Dussaulx, Rousset et Bouyssou, av.

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRÊT DU 19 OCTOBRE 2018

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général :18/08782 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5TK4

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 4 Avril 2018 – Juge de la mise en état de Paris – RG n° 17/07367

APPELANT

Monsieur Y X

Né le […] à […]

[…]

[…]

Représenté par Me Anne BERNARD-DUSSAULX, avocat au barreau de PARIS, toque : C806, avocat substitué par Me Mathilde ROUSSET, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

Etablissement A B prise en la personne de ses représentants légaux

Immatriculée au RCS d’Irlande sous le numéro 905 623

[…]

[…]

Représentée par Me Jacques BOUYSSOU de la SELARL ALERION SOCIETE D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0126

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 24 Septembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Françoise CHANDELON, Présidente de chambre

Monsieur Marc BAILLY, Conseiller

Madame Pascale LIEGEOIS, Conseillère

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame C D

ARRÊT :

— contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Madame Françoise CHANDELON, présidente et par Madame C D, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

Par assignation en date du 6 avril 2017, M. Y X a fait citer devant le tribunal de grande instance de Paris la société Caisse d’Epargne et de Prévoyance d’Ile-de-France et la société A B, de droit irlandais sise à Dublin, le saisissant d’une demande visant à la réparation des préjudices nés de la perte de ses investissements de 10 000 euros, au cours de l’année 2014, sur le marché du Forex opérés au moyen d’un virement de sommes de son compte à la Caisse d’Epargne vers celui d’une société de courtage HKA/Finances/Traxada/Sisma/Capital détenue dans les livres de la société A B, et ce à raison du manquement des banques émettrices et bénéficiaires des virements à leurs obligations de vigilance et de surveillance lors de l’ouverture et de la tenue des comptes bancaires dans leurs livres.

Par ordonnance en date du 4 avril 2018, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris, statuant sur l’exception d’incompétence soulevée par la société A B à laquelle se sont opposés M. X et la Caisse d’Epargne a :

— déclaré le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour statuer sur les demandes formées contre la société A B,

— renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

— renvoyé l’examen de l’affaire pour le surplus à la mise en état,

— condamné M. Y X à payer à la société A B la somme de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

M. Y X a relevé appel de l’ordonnance par déclaration du 30 avril 2018 à l’encontre de la seule société A B.

Par ses dernières conclusions en date du 9 juillet 2018, M. Y X poursuit l’infirmation de l’ordonnance et sollicite la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles en sollicitant, en tout état de cause, le rejet de toute demande de ce chef à son endroit en faisant valoir :

— que, par exception au principe de la compétence du lieu du domicile du défendeur, en vertu de l’article 7 2° du Règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I Bis, le tribunal de Paris est compétent en tant qu’il est celui du lieu ou le fait dommageable s’est produit, ce qui est le cas en l’espèce dès lors que c’est sur son compte bancaire dans les livres de la Caisse d’Epargne que le dommage s’est produit et qu’il s’agit du lieu de matérialisation de son préjudice financier,

— que ce tribunal est encore compétent en vertu des compétences dérivées prévues à l’article 8 du Règlement en considération de ce qu’il s’agit du lieu du domicile d’un codéfendeur et qu’il existe un lien étroit entre les demandes, un intérêt à les voir juger ensemble et un risque de voir adopter des solutions contraires dans l’hypothèse inverse,

— qu’en l’espèce la connexité, largement appréciée, est incontestable puisqu’il sollicite la condamnation in solidum au paiement d’une même somme, qu’une même situation de fait est à l’origine du litige et d’un préjudice unique et que les banques, peu important qu’elles aient agi de concert, sont soumises à la même réglementation issue de la directive du 26 octobre 2005 en l’espèce et spécialement de son article 8, les faits de défaut de surveillance et de vigilance étant les mêmes,

— qu’il existe en outre un risque contrariété de décision et qu’en cas de double condamnation, le préjudice serait indemnisé deux fois, l’intérêt d’une bonne administration de la justice commandant qu’une seule juridiction se prononce.

Par ses seules conclusions en date du 26 juillet 2018, la société A B sollicite la confirmation de l’ordonnance entreprise et la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel en exposant :

— que le lieu du fait dommageable prévu par l’article 7 2) du Règlement, d’interprétation stricte, est celui du fait générateur, lieu de l’événement causal, ou celui où le dommage est survenu, qu’en matière de perte financière, ce lieu est celui de la perte des fonds et non celui depuis lequel ils avaient été virés, les deux lieux étant en l’espèce situés à Dublin puisqu’il est allégué que c’est dans son établissement sis dans cette ville que le défaut de vigilance aurait été commis et que les fonds auraient été perdus, étant ajouté qu’elle est totalement étrangère aux circonstances dans lesquels les fonds ont été investis n’ayant effectué aucune démarche,

— qu’il n’existe pas de connexité au sens de l’article 8 1) du Règlement, qui doit être interprété de manière stricte, dès lors que les fautes alléguées sont distinctes et non exclusives, qu’en effet la situation de la banque française et de la société A B sont différentes puisqu’elles sont concernées, respectivement par les circonstances du traitement d’un ordre de virement et par la vigilance lors de l’ouverture et de la gestion d’un compte, ce qui relève de régimes juridiques différents, français et irlandais, quant au droit applicable en vertu du Règlement dit Rome II,

— que le préjudice unique allégué est insuffisant, que le risque de solutions inconciliables dans l’hypothèse d’un jugement distinct n’est pas démontré, l’éventualité peu probable d’une double indemnisation étant une question substantielle réglée au fond et sans emport sur la compétence territoriale européenne,

— qu’il est inexact de soutenir qu’elle pouvait prévoir d’être attraite devant les juridictions françaises alors que la surveillance du respect de ses obligations incombe à l’Etat membre dans lequel elle est située, qu’elle est parfaitement étrangère tant à la décision de M. X d’investir qu’à toute décision de commercialisation de l’offre à laquelle il a consenti.

MOTIFS

M. Y X a signé le 27 mai 2014, un contrat en langue anglaise d’ouverture de compte d’investissement dans la société Sisma Capital en donnant mandat de gestion de ce compte à la société HKA Finance.

Aux fins de l’exécution du contrat, il a donné à sa banque française, la Caisse d’Epargne, un ordre de virement SEPA de 10 000 euros le 11 juillet 2014 à destination du compte de la société HKA Finance détenu dans les livres de l’établissement irlandais à Dublin de la A B.

Par son assignation introductive, M. X recherche, d’une part, la responsabilité de la Caisse d’Epargne pour avoir manqué à son obligation de vigilance sur le mouvement de son compte qui était anormal eu égard au montant du virement, à sa destination inhabituelle à l’étranger sans que la banque n’ait vérifié l’identité de son destinataire et, d’autre part, de la société A B pour manquement à son obligation de vigilance sur l’ouverture et la gestion du compte de la société HKA Finance dans ses livres, en réalité détenu par le Counting House, dépourvu d’autorisation de processeur de paiement.

Dès lors que l’acte introductif d’instance est postérieur au 1er janvier 2015, c’est le Règlement No 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale qui régit le conflit de compétence.

L’article 4 du Règlement pose le principe de la compétence de la juridiction du lieu du domicile du défendeur, en l’espèce l’Irlande au sens de son article 63, sous réservé des compétences spéciales prévues notamment à ses articles 7 et 8.

Il résulte ainsi de l’article 7 2) qu’ ‘en matière délictuelle ou quasi délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre : devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire‘.

Ce lieu où le fait dommageable s’est produit s’entend tant de celui où il est survenu que de celui de l’événement causal à l’origine du dommage.

En tant que la compétence des juridictions du lieu de survenance du fait dommageable en matière délictuelle est une exception à celle, de principe, du lieu du domicile du défendeur, elle doit être interprétée de manière autonome et stricte et ne saurait résulter du lieu où le demandeur a fixé le centre de ses intérêts patrimoniaux.

Le lieu où le dommage est survenu en l’espèce, au sens des dispositions appliquées, n’est pas celui à partir duquel le virement a été opéré, c’est-à-dire à partir du compte personnel de M. X dans les livres de la Caisse d’Epargne à destination d’un compte ouvert dans les livres de la A B, mais bien celui où l’appropriation indue alléguée des fonds s’est déroulée, soit par le débit de ce dernier compte, ouvert et géré à Dublin.

En effet, le lieu où le dommage s’est produit ne vise pas celui du domicile de l’investisseur au seul motif qu’il y aurait subi un préjudice financier résultant d’une perte patrimoniale qui, en l’espèce, est intervenue et a été subie en Irlande.

Le défaut de vigilance lors de l’ouverture et de la tenue du compte de la société HKA Finance, non attraite en la cause, dans les livres de la A B est un fait générateur allégué qui se serait également déroulé au lieu du domicile irlandais de la banque, lieu de cette abstention reprochée.

C’est ainsi par des motifs pertinents que le juge de la mise en état a conclu que l’article 7 2) du Règlement ne donnait pas compétence aux juridictions françaises pour connaître de l’action intentée par M. X contre la A B.

L’article 8 1) du règlement, qui s’interprète de manière autonome, dispose que :

Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :

1)s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément‘.

Pour que des décisions séparées soient jugées inconciliables, il ne suffit pas qu’il existe un risque de divergence dans la solution du litige mais que cette divergence s’inscrive dans une même situation de fait et de droit.

Si l’identité de fondement juridique n’est pas une condition nécessaire à la constatation de ce risque de divergence, c’est à tort que M. X fait valoir qu’il existerait en l’espèce un risque d’inconciliabilité de jugements, précisément au motif que les deux banques seraient soumises aux mêmes obligations dont le respect devra être judiciairement examiné.

En effet, l’exécution par la Caisse d’Epargne de la demande virement de son client, régie par les articles L133-18 et suivants du code monétaire et financier transposant la directive n°2007/64/CE concernant les services de paiement dans le marché intérieur est distincte, en fait et en droit, du défaut de vigilance dans l’ouverture et la gestion du compte de sa cliente par la banque irlandaise selon le droit irlandais, notamment en ce qu’il transpose le droit de l’Union relatif à l’agrément ou à la surveillance des société prestataires de services d’investissements ou encore, comme l’invoque M. X, la Directive 2005/60 du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme la lutte contre le blanchiment.

M. X, qui a signé le contrat de mandat le liant à la société HKA Finance indépendamment de toute intervention tant de la Caisse d’Epargne que de la société A B ne soutient pas qu’il y aurait eu une concertation quelconque de ces dernières relativement aux circonstances de son investissement qui aurait rendu prévisible pour la société A B l’éventualité d’une action judiciaire à son encontre d’un investisseur français devant une juridiction française, la soumission par le droit de l’Union de tous les établissements bancaires à des règles de vérification des comptes ne pouvant suffire à rendre prévisible, de manière générale, ces actions.

L’unicité du préjudice invoqué et la simple circonstance, tenant au seul demandeur, qu’une condamnation in solidum des deux défenderesses est sollicitée alors que l’appréciation du mérite des prétentions respectives à leur encontre suppose un examen de faits et de règles juridiques distinctes ne rend pas pour autant les demandes liées par un rapport si étroit qu’il y a un intérêt à les juger ensemble alors qu’il n’y a pas de risque de décisions inconciliables, étant observé que c’est à juste titre que la société A B fait valoir que l’hypothèse d’une double indemnisation porte sur une question de droit substantiel et n’influe pas sur la détermination de la compétence.

En conséquence, il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise, de condamner M. X aux dépens l’équité commandant de ne pas prononcer de condamnation supplémentaire au titre des frais irrépétibles en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. Y X aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

Source Doctrine