Quelle est l’approche des professions libérales face aux exigences en matière de Responsabilité Sociétale et Environnementale (RSE) ? En quoi la RSE peut-elle être un critère d’attractivité ? Quel impact sur la mission de conseil du professionnel et quels défis pour mener une politique RSE, créatrice de valeur pour l’entreprise ?
Bénédicte Bury, présidente de l’UNAPL Île-de-France, a répondu aux questions d’OnLib’Infos, revue d’Interfimo qui a publié son interview en deux épisodes, que nous reproduisons ci-après, avec leur autorisation.
- 1er épisode : Construire sa démarche RSE : contrainte ou opportunité pour une profession libérale ?
- 2è épisode RSE (à paraître en décembre) : quels défis pour quel impact sur l’entreprise et l’exercice du métier ?
1. Construire sa démarche RSE : contrainte ou opportunité pour une profession libérale ?
Les professions libérales sont-elles, par nature, sensibilisées aux problématique RSE ?
Chaque profession libérale a ses spécificités mais on peut considérer qu’elles sont généralement dotées de fortes expertises techniques qui leur permettent de rendre des services essentiels dans des situations complexes, et qu’elles se soumettent de plus en plus à des règles de conduite émises par leur communauté de pairs afin d’assurer la protection du public même lorsqu’elles ne sont pas réglementées. Une structure syndicale, par exemple, qui établit des règles et contribue à la formation de ses membres assume ainsi la responsabilité d’une mission sociale. Il a été souligné le rôle clé de ces métiers de la vie dans l’économie, vecteur d’humanisme dans un monde d’incertitudes et leur capacité à s’adapter aux besoins en s’appuyant sur la confiance et la proximité. La Commission et le Parlement européen ont reconnu leur contribution particulière à l’intérêt général avec indépendance.
Comment les professions libérales abordent-elles aujourd’hui l’intégration d’une politique RSE ?
Nos professions à l’impact social « naturel » sont conscientes de leur potentiel d’attractivité pour les jeunes générations en quête de plus d’autonomie, plus d’horizontalité de ces métiers, plus de sens et prêtes à prendre des risques. Ainsi, se sont affirmées prédisposition et opportunité de développement entrepreneurial favorisées par des financements, comme par des clients de plus en plus attentifs à l’engagement dans une démarche de responsabilité sociale. Il reste que la démarche représente un investissement qu’il y a lieu de proportionner à la taille de chacun et ses spécificités pour lui donner plus d’agilité. La démarche RSE a pris un élan en France avec la loi Pacte promulguée le 22 mai 2019 introduisant un second alinéa à l’article 1833 du Code civil ainsi libellé : « La société doit être gérée dans son intérêt propre en considérant des enjeux sociaux et environnementaux de son activité » et en permettant aux entreprises de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts, voire de devenir « société à mission ». À chacun sa démarche de responsabilité sociale, elle n’est pas réservée aux grandes structures et les professionnels libéraux y viennent progressivement.
À l’heure où les professions réglementées s’ouvrent de plus en plus à la publicité et au marketing, en quoi la RSE est-elle un critère d’attractivité et pour qui ?
Les actions entreprises en matière de responsabilité sociétale et environnementale constituent sans doute un facteur de différenciation et de compétitivité. L’écosystème devient très attentif pour exercer ses choix :
- le choix de produits ou services pour les clients auprès d’entreprises engagées dans une démarche responsable ;
- le choix d’entreprises à sélectionner par les fournisseurs (notamment constaté dans les appels d’offre) ou à accompagner par les financeurs. Il se développe de nouveaux produits de la finance durable, notamment les crédits à impacts positifs avec incitation à la performance globale par l’évolution d’un taux qui en tient compte. L’engagement dans un développement durable de son entreprise est un gage de crédit, consubstantiel au financement.
- le choix de d’environnement de travail pour les collaborateurs qui rechercheront des cabinets dotés d’une politique d’égalité, diversité, équilibre vie professionnelle/vie personnelle, d’initiatives tangibles pour favoriser par exemple des actions probono dans lesquelles ils puissent s’investir.
- Pour les jeunes aujourd’hui, l’entreprise idéale doit s’engager sur certains sujets de sociétés, tels que sur : l’environnement, comme le disent 29 % des jeunes interrogés, la lutte contre les discriminations pour 27 %, la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes (25 %)
Enquête : Les jeunes et l’entreprise en 2022 (Planète Grandes Ecoles)
Management bienveillant et RSE : ce qu’attendent les jeunes générations (EDHEC Business School)
Qu’il s’agisse de professions du droit, du chiffre ou de la santé, quelles sont les actions concrètes aujourd’hui mises en place ?
Chez les avocats, nous pouvons prendre l’exemple du Cabinet Filor, engagé depuis 2009 dans une action pragmatique, ayant d’abord consisté, comme expliqué par Sophie Ferry (cf. La responsabilité sociétale des cabinets d’avocats en 2022 : un levier pour le monde d’après ? – village-justice.com), associée et membre du Conseil National des Barreaux, à procéder à un bilan carbone afin de mesurer l’empreinte, puis déterminer un objectif de diminution des dépenses d’énergie avec mise en place d’audits.
Les membres du cabinet partagent cette « fibre écologique » et ils ont chacun contribué aux choix des actions dans une dynamique collective de croissance éco-responsable :
- mise en place du recyclage des déchets,
- politique de minimisation d’impression,
- recyclage des papiers de bureau avec une association de la Croix rouge,
- changement des Led,
- extinction des lumières et ordinateurs entre les pauses,
- achat de 2 machines à café à grain à disposition gratuite des salariés (pour éviter les dosettes et capsules),
- commandes de légumes locaux et bio chaque semaine,
- réglage du chauffage et changement de thermostat pour les open-spaces, dans le cadre de leur politique de sobriété énergétique.
Dans le domaine de l’expertise comptable, Hervé Gbego, Président du Comité de normalisation extra financière et RSE au Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, a présenté les principales méthodes de reporting RSE et de comptabilité socio-environnementales, dans un livre blanc destiné à guider le lecteur vers la démarche de comptabilité environnementale et sociale la plus adaptée à son entreprise (cf. Livre blanc de la DFCG sur la comptabilité environnementale et sociale).
Certaines de ces méthodes relèvent d’une approche extra-financière, d’autres d’une approche financière pouvant aller jusqu’à la production d’états financiers totalement intégrés.
Le pharmacien, acteur de proximité, est mobilisé pour s’engager dans des actions RSE. Pharma Système Qualité, par exemple, anime une groupe pilote « ECOR » depuis 2020 et propose à toutes les pharmacies engagées ISO 9001-QMS Pharma un kit d’outils écoresponsables depuis février 2021. Il s’agit d’un guide de bonnes pratiques thématiques destiné à :
- « diminuer les impacts environnementaux de l’officine en amplifiant les bonnes pratiques existantes »,en ciblant de nouvelles actions concrètes et relever le défi de la neutralité carbone ;
- impliquer l’équipe dans un projet fédérateur et « pas à pas »
- « renforcer l’image de la pharmacie auprès des patients-clients soucieux de santé environnementale » par exemple par la vente d’éco-produits, cosmétique naturelle, la parapharmacie bio.
Nous voyons bien qu’à ce jour, la prise de conscience chez les professions libérales se traduit bien par des actions concrètes. Avec quel impact sur l’exercice des métiers ainsi que sur la valorisation de l’activité ? Et quels sont les défis restant à relever ?
Retrouvez la suite de notre Interview dans le prochain numéro d’OnLib’Infos à paraître en décembre.
Pour approfondir :