Monsieur le Garde des Sceaux,
Mesdames et Messieurs,
Chacun d’entre vous,
C’est chacun d’entre vous que nous interpellons.
L’ACE-JA se réjouit de ce congrès pour ce qu’il nous apportera à tous tant le thème retenu répond à sa préoccupation constante depuis presque cinq années maintenant de « réflexe entreprise ».
A l’heure où cette section jeune redynamisée atteint presque l’âge de raison, elle pousse son aînée qui vient de célébrer ses quinze ans d’existence « âge porteur d’espérance » pour reprendre l’expression du Bâtonnier IWEINS, à atteindre la majorité par un passage en force du rêve au projet. Le rapport du mois de septembre de la commission prospective parait encourageant par sa contribution à déterminer un projet clair, gage de succès. Notre jeune section propose des programmes de gestion et de management, indispensables à la survie puis au développement de nos Cabinets puisque nous n’y sommes en rien préparés et donc totalement démunis.
Nous poursuivons notre action cette année, malgré la persistance du refus par le Conseil National d’homologuer ces formations, non juridiques, alors qu’il s’agit de répondre au besoin des jeunes avocats et moins jeunes d’être accompagnés dans leur parcours professionnel.
La Commission Prospective du Conseil National nous a d’ailleurs fait part au mois de septembre de la nécessité d’attirer les jeunes et les meilleurs à exercer notre profession, dont ils auraient une tendance s’accélérant à s’en détourner parce que découragés, à tous égards, d’entreprendre.
Nous sommes donc heureux de lire, dans ses plans d’action proposés, qu’il importe de développer l’esprit d’entreprendre chez les jeunes, notamment par une « formation à l’exercice indépendant devenue indispensable, car celui-ci ne s’improvise pas et les jeunes professionnels découvrent souvent trop tard les difficultés de la gestion d’un Cabinet ». Cette Commission Prospective du Conseil National rappelle que cette réflexion importante sur le nombre et la qualité a déjà été entamée par les autres professions libérales indépendantes.
La désaffection des jeunes pour les professions libérales est le reflet de notre lenteur à la réaction collective.
Demain, les jeunes ne comprendraient donc pas que la réflexion sur la gouvernance de la profession n’ait pas été aujourd’hui accélérée pour mettre en place efficacement un processus de réflexion stratégique collective eu égard à l’urgence établie de la situation. Sans doute, comme le précise Monsieur le Président IWEINS dans son discours du mois de septembre, la profession est « ancrée dans une forte tradition de service des autres, d’indépendance et de défense des libertés » dont il n’est pas contestable qu’il s’agisse de valeurs essentielles de notre profession, qu’elle s’est trouvée confrontée aux évolutions sociales et économiques de la société et a su préserver ses valeurs.
Cependant, cette situation, ainsi décrite, apparaît dépassée, la violence économique, a été telle qu’elle provoque dépendance, indignité, incapacité d’exercer cette profession dans le respect des valeurs qui en sont l’essence même, comme de pouvoir assumer pleinement l’obligation déontologique de compétence, tout ceci participant indéniablement de la perte d’image que nous subissons. Si les avocats peuvent avoir une bonne image d’eux-mêmes, ils ne sont pas fiers aujourd’hui de leur appartenance à la profession.
Les professions indépendantes et libérales sont en effet victimes de leur image passée, d’un esprit assis sur un contexte social politique et économique dans lequel elles trouvaient la force, la permanence et donc la liberté, l’indépendance, indispensables à l’exercice de professions dont il est attendu qu’elles servent l’intérêt général.
C’est ce contexte social, politique et économique qui a été révolutionné et dans lequel ces professionnels ne peuvent évoluer tant ils sont bridés précisément par ce qui faisait leur assise.
Il est aujourd’hui tout à fait paradoxal de voir les autres entreprises, celles que nous conseillons, se déployer dans une économie de marché, se gouverner et développer des stratégies d’entreprise durables, socialement responsables sur lesquels elles travaillent aujourd’hui afin qu’elle leur soit de surcroît profitables tandis que les Avocats, socialement responsables par essence, perdent leurs valeurs faute de moyens.
Demain, les jeunes ne comprendraient donc pas que la profession n’ait pas su s’adapter efficacement puisqu’il est aujourd’hui incontestable que dans un environnement économique et juridique incertain très rapidement évolutif, la capacité de s’adapter est une condition essentielle de succès.
En 2003, l’ACE-JA organisait avec le DESS de droit des affaires de Paris I un colloque sur la gouvernance d’entreprise intégrant une approche européenne et comparée tant cette question lui apparaissait essentielle pour toutes les entreprises et donc aussi celles d’Avocats. La grande majorité des métiers de demain sont inconnus. Il est souvent indiqué de manière générale que la jeune génération changera en moyenne 5 fois de domaine durant sa vie professionnelle.
De plus en plus, se creuse un écart dangereux non pas tant, comme on le lit souvent, pour ce qui concerne notre profession, entre l’activité judiciaire et le conseil mais plus fondamentalement entre ceux qui savent tirer partie du changement et ceux qui, au contraire, subissent le changement d’une manière négative et s’éffondrent, la paupérisation des premiers ne facilitant sans doute pas le développement de la capacité d’adaptation aux changements.
L’ouvrage déjà cité sur le management du troisième millénaire, témoin du passage de la « société industrielle » à la « société de création » rappelle que le changement affecte les individus, les entreprises, les professions et les Etats.
Il n’y a pas lieu d’être pessimiste sur l’avenir des métiers du droit surtout si la profession s’organise pour développer les marchés mais il nous apparaît tout à fait essentiel de prendre conscience que c’est la capacité d’innovation de chacun qui détermine l’aptitude à tirer partie des changements et que c’est donc au développement de cette capacité d’innovation chez chacun qu’il convient de s’attacher.
L’ACE-JA continue de proposer des programmes de management et nous mettons en place cette année de nouvelles formations de management, dispensées par VB Consult pour accompagner l’Avocat dans les différentes étapes de sa carrière : l’Avocat junior, l’Avocat manager d’équipe, l’Avocat dirigeant d’entreprise pour l’aider à réfléchir sur une stratégie de carrière, personnelle, et sur une stratégie de Cabinet, organisationnelle, l’accompagner dans l’adaptation aux changements pour réussir.
Demain, les jeunes ne comprendraient donc pas que la profession n’ait pas su obtenir des pouvoirs publics qu’ils procurent à notre profession l’aide qui est indispensable à son développement, ce qui ne pourra se faire que par la restauration de la confiance dans ses principaux acteurs et notamment les Avocats et les Magistrats, « communauté juridique et judiciaire » si chère à Guy CANIVET et qui se retrouve d’ailleurs ici concernée par les mêmes préoccupations si l’on observe les démarches de gouvernance entreprises dans ces deux professions au service d’une réflexion stratégique qui conduit notamment à la mise en place de processus de gestion et de management.
Chacun sait que pour restaurer la confiance, il faut d’abord retrouver confiance en soi. Demain, les jeunes ne comprendraient pas non plus que nous n’ayons pas tout mis en œuvre pour le développement d’une formation universitaire, professionnelle initiale et continue d’excellence, ce qui naturellement ne résultera pas d’un changement de nom mais implique l’ambition d’exporter un système d’éducation, pour lequel nous disposons de nombreux atouts mais dont la France a déjà démontré dans d’autres domaines sa difficulté à le vendre. La profession a montré, particulièrement ces derniers mois, son souci de faire évoluer l’enseignement dispensé. L’ambition doit être à terme de créer l’envie chez les juristes étrangers de venir se former en France à l’exercice des professions du droit et nous d’exporter notre formation, ce qui constitue un moyen incomparable de promotion de notre droit et de notre mode de pensée.
L’ACE-JA développe des partenariats avec les universités de Paris I et Paris II, d’Aix-Marseille, elle est représentée aux journées portes ouvertes de ces Universités, les membres de l’ACE dispensent des enseignements dans de nombreux DESS de droit des affaires, DJCE, et nous aurons à cœur de développer ces liens indispensables.
La formation professionnelle et les barreaux devraient également avoir pour ambition de permettre la mobilité tant géographique qu’au sein d’une profession élargie dans ses différents métiers.
Demain, les jeunes ne comprendraient pas en effet que la profession n’ait pas tout fait pour agrandir sa sphère d’intervention par le développement d’une capacité d’anticiper les nouveaux marchés du droit, mais aussi par sa capacité à élargir la profession pour ouvrir des perspectives et éviter que les jeunes et parfois les meilleurs ne souhaitent en sortir ou ne pas même y entrer. Il y a lieu de construire une profession dans laquelle ils puissent trouver la mobilité nécessaire et attendue d’eux.
L’ACE-JA vient de créer des délégations franco-allemande, franco-espagnole, franco-italienne en lien avec la commission internationale pour favoriser les échanges, la création de réseaux accessibles et offrir aux jeunes des sources d’opportunités à saisir. Enfin, la formation pourrait aussi se préoccuper d’organiser la participation des Avocats à des activités civiques pour aider et conforter la profession dans sa mission essentiellement responsable et permettre simultanément d’intervenir efficacement dans la prévention et la protection juridique.
Finalement, quels jeunes ne comprendraient pas que nous n’ayons pas réagi ? Ceux qui ne seront pas entrés dans cette profession, ou qui l’auront fuie mais aussi tous les autres qui estimeront que la profession, abandonnée par ailleurs par les pouvoirs publics, n’aura pas assumé son rôle pour préserver son existence socialement indispensable. Débloquer les budgets nécessaires maintenant pour permettre à la profession de passer du rêve au projet et le mettre en œuvre, eu égard à toutes les conséquences directes et indirectes qu’aurait la non allocation ou son insuffisance avérée, relève de la détermination d’une priorité elle-même induite par une réflexion stratégique, fruit de la gouvernance de l’Etat. L’ACE-JA se réjouit donc de cette occasion offerte par le congrès de l’ACE de réfléchir sur les « horizons du futur », intitulé de l’un des livres de Michel Saloff Coste, Directeur d’un cycle de formation proposé par science po « enjeux et leviers de la gouvernance d’entreprise : anticipation stratégie action ».
Dans l’esprit de cet ouvrage, comme la renaissance invente la perspective, que notre profession, que notre association contribue par ses travaux à inventer la prospective : » se projeter dans un futur voulu c’est mesurer son contexte, délier ses talents, affirmer sa singularité « .
Bon congrès.