Taux d’intérêts négatifs : de l’autre côté du miroir

Gazette du Palais, 7 juin 2016 – Droit Bancaire

Aux pays merveilleux des taux d’intérêt négatifs, n’entendez pas « Allez, allez… Venez : c’est moins cher que gratuit ! » Formule retenue un jour dans un souk du Mali par la journaliste Dominique Nora, qui caractérise cette situation de taux négatifs, « à la fois bizarrerie intellectuelle et mystère conceptuel », précise Michèle Léger, président de l’Institut Messine en préface du cahier spécial « Taux d’intérêts négatifs, douze regards ?».

« On est passé de l’autre côté du miroir » a indiqué pour sa part la directrice de la Fédération Bancaire Française.

C’est le monde à l’envers ! Une « aberration financière »… et une réelle problématique juridique, comme l’explique Myriam Roussille, commentant la décision du TGI de Strasbourg du 5 janvier 2016 par laquelle le juge des référés a  enjoint à une banque d’appliquer la formule de taux d’un contrat de prêt à taux variable indexé sur un taux devenu négatif et dépourvu de taux contractuel plancher.

Jean-Jacques Daigre a souligné que « dans un contrat de prêt, il est nécessaire que l’emprunteur rembourse l’intégralité des sommes prêtées. Si l’on considère qu’en période de taux négatifs le prêteur doit payer des intérêts à l’emprunteur alors, au résultat, l’emprunteur remboursera un montant inférieur au montant prêté, ce qui remet en cause la nature juridique même du contrat de prêt ».

« Le fait que le monde soit « à l’envers » ne l’empêche pas de tourner », a pu dire Michel Léger.

Nous passons par une phase de « répression financière », post-crise de surendettement, marquée par des taux d’intérêt très bas et un durcissement réglementaire à l’égard des banques, visant à prévenir le risque de répétition.

Ainsi la réforme du crédit immobilier par l’ordonnance du 25 mars dernier de transposition de la directive du 4 février 2014 fait l’objet dans le présent numéro de la Gazette du Palais d’une étude soulignant que l’objectif est de renforcer la protection des consommateurs et de prévenir l’endettement excessif.

Elle consacre les solutions jurisprudentielles ainsi inspirées, « codifie » une distribution responsable du crédit en précisant les obligations incombant au prêteur comme à l’emprunteur. L’ordonnance a cependant manqué le rendez-vous de clarification attendue des règles du TAEG et du rééquilibrage du régime des sanctions vers la proportionnalité.

Par ailleurs, les taux d’intérêt (nominaux) très faibles, voire négatifs, sont un phénomène mondial. Ils font partie de la boîte à outils de relance économique constituée par les banques centrales dans l’espoir d’inciter les banques commerciales à distribuer davantage de prêts à l’économie réelle.

Seulement ces mesures ne suscitent toujours pas l’envie d’emprunter. Serait-ce,  comme l’explique l’économiste Daniel Cohen, que « le monde est devenu trop petit ?(…) La société industrielle reposait sur la perspective d’une croissance perpétuelle. Privée de cet espoir, elle est gagnée par l’angoisse ». Apprendre à vivre sans croissance, à appréhender la finitude représente un bouleversement aussi radical que la révolution galiléenne.

En fait, personne ne sait « comment cette « anomalie qui dure » prendra fin : rapidement ou après beaucoup de temps, en bon ordre ou au prix de secousses importante ? », interroge Michel Léger.

Alors trouvons un nouvel équilibre De l’autre côté du miroir– roman du célèbre Lévis Carroll- un monde de créativité, d’autonomie, d’horizontalité des relations comme nous y invite le Rapport moral de l’argent dans le monde qui vient de paraître, précisément consacré aux évolutions porteuses de progrès, paradoxalement dans le contexte noir du terrorisme.

Bénédicte Bury

 

(*) Références