Analyse de Jurisprudence Bancassurance

Mots clés

Bancassurance – Assurance emprunteur – Clauses abusives – Appréciation

L’essentiel

Ne sont abusives ni la clause d’une assurance prévoyant que l’emprunteur doit régler les échéances du prêt après la survenance du sinistre garanti tant que l’assureur n’a pas admis sa prise en charge, ni celle précisant que la garantie prend fin à la déchéance du terme.

, avocate associée au Barreau de Paris, Avocap 2.2, ancien membre du Conseil national des barreaux

Analyse

L’analyse complète de cette jurisprudence est parue dans la Gazette du Droit bancaire N°36 du 22 octobre 2019 : Protection de l’assuré emprunteur : champs et limites de l’appréciation du caractère abusif de certaines clauses

 


La décision (texte intégral)

Cass. 1re civ., 4 juill. 2019, n° 18-10077, ECLI:FR:CCASS:2019:C100644, Sté Crédit Lyonnais, et a. c/ M. et Mme V., PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 10 nov. 2017), Mme Batut, prés. ; SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP L. Poulet-Odent, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre av.

Arrêt n°644 du 4 juillet 2019 (18-10.077) – Cour de cassation – Première chambre civile
– ECLI:FR:CCASS:2019:C100644

Protection des consommateurs

Rejet

Sommaire 1 :
N’est pas fondé le moyen qui reproche à une cour d’appel de s’être abstenue d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause obligeant l’emprunteur à continuer de payer les échéances du prêt en cas de sinistre, dès lors qu’il résulte des éléments de fait et de droit débattus devant elle qu’une telle l’obligation ne crée aucun déséquilibre significatif au détriment de l’emprunteur, l’assureur devant pouvoir vérifier la réunion des conditions d’application de la garantie avant de l’accorder.

Sommaire 2 :
N’est pas fondé le moyen qui reproche à une cour d’appel de s’être abstenue d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause prévoyant la cessation de la garantie et des prestations à la date de la déchéance du terme, dès lors qu’une telle clause définit l’objet principal du contrat en ce qu’elle délimite le risque garanti, de sorte qu’étant rédigée de façon claire et compréhensible, elle échappe à l’appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de l’article L. 132-1, alinéa 7, devenu L. 212-1, alinéa 3, du code de la consommation.


Demandeur (s) : M. et Mme V…
Défendeur (s) : Société Crédit Lyonnais, société anonyme ; et autre(s)


Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 10 novembre 2017), que, suivant offre acceptée le 27 janvier 2009, Mme V…  (l’emprunteur) a souscrit un prêt immobilier auprès de la société Crédit lyonnais (la banque) ; qu’elle a adhéré, par l’intermédiaire de la société CBP solutions (le courtier), à l’assurance de groupe souscrite par la banque auprès de la société Axa France vie (l’assureur) ; que M. V…  (la caution) s’est porté caution solidaire du prêt, de même que la société Crédit logement (la société) ; qu’à la suite d’incidents de paiement, la banque a prononcé la déchéance du terme et vainement mis en demeure l’emprunteur et la caution de payer la somme restant due au titre du prêt ; qu’après avoir désintéressé la banque, la société a assigné l’emprunteur et la caution en paiement d’une certaine somme, ceux-ci ayant pour leur part assigné en intervention forcée la banque, l’assureur et le courtier ; que les instances ont été jointes ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l’emprunteur et la caution font grief à l’arrêt de rejeter leur action en responsabilité contre l’assureur et le courtier, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès lors qu’il dispose des éléments de fait et de droit pour le faire ; qu’en l’espèce, la clause du contrat d’assurance oblige l’assuré en cas de sinistre à continuer lui-même le remboursement des échéances du prêt ; qu’une telle clause décharge l’assurance de son obligation en obligeant l’assuré, qui subit le sinistre pour lequel il est assuré, à exécuter, à sa place, son obligation ; que pourtant l’assuré, dans un tel cas n’est plus en mesure d’exécuter l’obligation de paiement, raison pour laquelle il s’est assuré ; qu’en s’abstenant de rechercher si une telle clause ne créait pas au détriment de l’emprunteur assuré un déséquilibre significatif et ne revêtait pas ainsi un caractère abusif, en ce qu’elle lui impose de faire face à des engagements qu’il ne peut plus, par hypothèse, assumer et pour l’exécution desquels il s’est assuré, et en ce qu’elle conduit à provoquer ce que l’assurance avait pour objet d’éviter, à savoir la défaillance dans le remboursement du prêt immobilier, la cour d’appel a méconnu son office, en violation de l’article L. 132-1 du code de la consommation, ensemble l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ;

2°/ que le juge est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès lors qu’il dispose des éléments de fait et de droit pour le faire ; qu’en l’espèce, une clause du contrat d’assurance prévoit que la garantie prend fin à la date de déchéance du terme ; qu’une telle clause permet à l’assurance de se libérer de ses obligations en raison de la survenance d’un événement, la déchéance du terme, qu’elle peut elle-même provoquer ; que la déchéance du terme peut, en effet, intervenir parce que l’assurance aura tardé à accepter de prendre en charge le sinistre de son assuré qui, lui, n’aura pas été en mesure de continuer à honorer ses engagements en raison de ce sinistre en vue duquel il s’était assuré  ; qu’en s’abstenant de rechercher si une telle clause ne créait pas au détriment de l’emprunteur assuré un déséquilibre significatif et ne revêtait pour ces raisons un caractère abusif et illicite, la cour d’appel a méconnu son office, en violation de l’article L. 132-1 du code de la consommation, ensemble l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ;

3°/ que manquent à leur obligation d’information et de conseil l’assureur et son courtier qui laissent sans réponse une demande d’information et de conseil de leur assuré les informant de son sinistre et leur demandant ce qu’il doit faire ; que la cour d’appel, pour exclure toute faute de l’assurance, débitrice d’une garantie arrêt de travail et perte d’autonomie, et de son courtier, qui ont laissé sans réponse pendant huit mois la demande d’information et de conseil de leur assurée qui, en janvier 2011, les prévenait de ce qu’elle cumulait les arrêts de travail, allait probablement être placée en invalidité et leur demandait ce qu’elle devait faire, a retenu que l’assurée n’a été placée en invalidité qu’en septembre 2011, n’aurait pas avisé le courtier de ses «  premiers » arrêts de travail et a manqué de diligence dans l’envoi des documents demandés, enfin, par l’assurance ; qu’en excluant toute faute de l’assurance et de son courtier par ces motifs insuffisants à écarter leur faute résultant du silence opposé pendant huit mois à la demande d’information et de conseil de leur assurée en situation de sinistre, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1135 dans leur rédaction applicable au litige, ensemble l’article L. 122-11-1, 4°, du code de la consommation ;

4°/ que commet une faute dans l’exécution loyale du contrat l’assureur qui disposant des documents nécessaires pour statuer sur l’existence du sinistre de son assuré repousse toute diligence jusqu’à obtention de tous les documents qu’il a demandés ; qu’en affirmant que l’assureur n’avait commis aucune faute dans le traitement tardif de la demande de l’emprunteur et dans l’organisation d’une expertise médicale seulement en août 2012 pour une décision de prise en charge en octobre 2012 parce que l’emprunteur ne lui aurait pas transmis tous les documents demandés, quand il n’était pas contesté que l’assureur était informé de la situation de son assurée depuis janvier 2011 et qu’il disposait de son attestation d’invalidité depuis la mi-novembre 2011 pour une période remontant à mai 2011, document nécessaire et suffisant pour justifier à bref délai l’organisation d’une expertise médicale et déterminer l’existence et la prise en charge du sinistre, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1135 dans leur rédaction applicable au litige ;

5°/ que, lorsque le sinistre se produit, l’établissement de crédit recueille directement, au moment du sinistre, le bénéfice de l’assurance par l’effet de la stipulation faite à son profit, ce qui vaut paiement de la dette de l’emprunteur et emporte libération de celui-ci ; que l’emprunteur, après avoir subi de nombreux arrêts de travail, a été placé en invalidité à compter du 5 mai 2011, sinistre garanti par l’assurance emprunteur contractée auprès de l’assureur ; qu’en rejetant toute faute de l’assureur qui n’a pas mis en oeuvre la stipulation pour autrui lorsqu’il a été informé du placement en invalidité dans la catégorie 2 de l’emprunteur en novembre 2011 et lui a fait ainsi perdre le bénéfice de son prêt immobilier, la cour d’appel a violé l’article 1131 du code civil dans sa rédaction applicable au litige ;


Mais attendu, d’abord, qu’il résulte des éléments de fait et de droit débattus devant la cour d’appel que l’obligation faite à l’emprunteur de continuer à payer les échéances du prêt en cas de sinistre ne crée aucun déséquilibre significatif à son détriment, dès lors que l’assureur doit pouvoir vérifier la réunion des conditions d’application de la garantie avant de l’accorder ;

Attendu, ensuite, que la clause prévoyant la cessation de la garantie et des prestations à la date de la déchéance du terme définit l’objet principal du contrat en ce qu’elle délimite le risque garanti, de sorte qu’étant rédigée de façon claire et compréhensible, elle échappe à l’appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de l’article L. 132-1, alinéa 7, devenu L. 212-1, alinéa 3, du code de la consommation ;

Attendu, enfin, qu’ayant relevé que l’emprunteur n’avait fait l’objet d’une décision de classement en invalidité qu’en septembre 2011, qu’il n’avait sollicité la prise en charge de ses arrêts de travail que postérieurement à cette date et avait omis de fournir à l’assureur et au courtier l’ensemble des pièces nécessaires à l’examen de sa demande de garantie, la cour d’appel a pu en déduire que le retard invoqué dans l’instruction de celle-ci ne pouvait leur être reproché ;

D’où il suit que le moyen, irrecevable en sa dernière branche comme étant nouveau et mélangé de fait, n’est pas fondé pour le surplus ;

Sur le troisième moyen, pris en sa dernière branche :


Attendu que l’emprunteur et la caution font grief à l’arrêt de rejeter leur demande de condamnation de la banque au remboursement de la société, alors, selon le moyen, qu’en rejetant toute faute de la banque parce que l’emprunteur, selon son contrat d’assurance, était tenu en cas de sinistre de continuer à s’acquitter des échéances du prêt auprès de la banque, la cour d’appel a appliqué une clause illicite et abusive stipulée dans un contrat d’assurance réglant les relations entre l’assuré et l’assureur ; qu’en procédant ainsi, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction applicable au litige, ensemble l’article L. 132-1 du code de la consommation ;

Mais attendu que, l’obligation faite à l’emprunteur de continuer à payer les échéances du prêt en cas de sinistre ne créant aucun déséquilibre significatif à son détriment, la cour d’appel a, à bon droit, fait application de la clause litigieuse pour exclure la faute de la banque ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur les deuxième et troisième moyens, ce dernier pris en ses trois premières branches, et sur le quatrième moyen, ci-après annexés :


Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Président : Mme Batut
Rapporteur : M. Vitse, conseiller référendaire
Avocat général : M. Chaumont
Avocat (s) :
SCP Waquet, Farge et Hazan – SCP L. Poulet-Odent – SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

 

Source : Cour de Cassation