Gazette du Palais, n°77 du 18 mars 2014 – Droit Bancaire

Préoccupés à l’encadrement du shadow banking (1), les États membres et l’Europe, à la suite de l’accord – qualifié d’historique – du mois de décembre 2013, ouvrant la voie de l’Union bancaire pour « renforcer les outils financiers de gestion de crise et la confiance des investisseurs dans la zone Euro et ses banques, protéger les épargnants et favoriser le retour à la croissance de l’économie européenne » (2), doivent également appréhender et gérer les risques liés au développement du shadow payment (3).

La réalité d’une culture de digitalisation des opérations, notamment bancaires, et le développement corrélatif de la monnaie virtuelle sont incontestables.

Le bitcoin, qui a suscité un engouement certain même s’il est actuellement sur la sellette, en est une illustration. Dans son sillage Amazon a lancé l’Amazon coin, sa propre monnaie permettant à ses clients d’acheter des applications, des jeux…. Par ailleurs, un nombre croissant de commerces en ligne acceptent le bitcoin comme moyen de paiement, tandis que des sites spécialisés dans l’échange de bitcoins en devises officielles sont apparus, suscitant des inquiétudes diverses… parfois fondées.

La Banque de France a publié, au mois de décembre 2013, un rapport (4) traduisant clairement sa volonté d’encadrer les monnaies virtuelles, alertant sur « les « dangers liés au développement de tels modèles ».

Elle explique que, ne constituant « ni une monnaie légale, ni un moyen de paiement » le bitcoin, comme les autres monnaies virtuelles, « n’entre pas directement dans le champ d’exercice de la supervision et de la surveillance des autorités compétentes en matière de paiement », tandis qu’elle n’est assortie d’aucune garantie légale de remboursement à tout moment à la valeur nominale et pourrait également présenter les risques d’une bulle spéculative.

Une piste, déjà explorée et retenue par les recommandations du Financial Crimes Enforcement Network (5), consiste à considérer les opérations de conversion ou de change de monnaie virtuelle en devises ayant cours légal comme des « services de paiement nécessitant un agrément de prestataire de services de paiement » dès lors soumis au dispositif de lutte contre le blanchiment, en l’occurrence numérique.

Tous les pays n’ont pas adopté la même attitude, le gouvernement allemand ayant, l’été dernier, reconnu les bitcoins comme unité de compte, encourageant ainsi la « concurrence dans la production de monnaies », quand certains soulignent d’autres avantages possibles de ce système de paiement : rapidité, sécurité et… réduction des coûts. Comme l’écrivait The Economist : «So let a thousand altcoins bloom» (6).

« Comme pour tant d’autres nouvelles tendances, les fraudeurs peuvent voir dans la dernière monnaie digitale en date une occasion de voler votre argent en utilisant les bonnes vieilles techniques d’escroquerie » écrit l’Autorité américaine de régulation de l’industrie financière (Finra), mettant en garde contre les piratages destinés à vider les portefeuilles numériques, dont sont victimes les plates-formes d’échange, comme l’intermédiaire spécialisé dans l’échange et le stockage de bitcoins au Canada, Flexcoin.

Celui-ci a indiqué avoir été victime d’un vol de l’ordre de 600 000 $ : « une deuxième Bourse de bitcoins baisse le rideau, » titrait Agefi le 5 mars 2014, à la suite de «M.Gox, placée sous la protection de la loi sur les faillites au Japon, déclarant 6,5 milliards de yens de passif exigible » (Agefi, 28 février 2014).

L’autorité bancaire européenne (ABE) avait également lancé une alerte au mois de décembre 2013. Le ministre de l’Économie et des Finances, Pierre Moscovici, a indiqué le 4 mars 2014 souhaiter que les États membres lancent une concertation européenne sur la régulation des monnaies virtuelles, pouvant s’appuyer sur les recommandations, attendues au mois d’avril prochain, du groupe de travail interministériel créé il y a plus d’un an et auquel Tracfin et la Banque de France participent.

La transition inéluctable vers de nouveaux « modèles » sera longue, comme la conquête et la reconquête de la confiance du client par les prestations de services numériques.

L’encadrement indirect, constitué par voie de recommandations interprétatives, « droit souple dont la légitimité ne s’impose pas avec évidence »  (7 & 8) appelle une réglementation spécifique à la suite de ce premier Krach de la monnaie virtuelle.

 

« L’encadrement indirect, constitué par voie de recommandations interprétatives, appelle une réglementation spécifique à la suite de ce premier Krach de la monnaie virtuelle »

Bénédicte Bury

(*) Références

  1. La finance de l’ombre ou shadow banking, finance fantôme ou encore système bancaire parallèle, désigne l’ensemble des activités et des acteurs contribuant au financement non bancaire de l’économie.
  2. shadow payment : service de paiement fourni par des acteurs non bancaires.
  3. Marie-Anne Barbat-Layani, Directrice générale de la Fédération bancaire française signe une tribune sur l’union bancaire dans Le Monde daté du 17 janvier 2014

  4. Focus n°10 – Banque de France : Les dangers liés au développement des monnaies virtuelles : l’exemple du bitcoin
  5. Financial Crimes Enforcement Network ou FinCEN, du département du Trésor des États-Unis
  6. The Bitcoin bubble (The Economist)
  7. Thierry Bonneau, «Régulation bancaire & financière et État de droit », Revue du Droit bancaire et Financier janvier-février 2014, p.2
  8. Conseil d’État, étude annuelle 2013, « Le droit souple »

 

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