Annulation d'un prêt bancaire pour faute d'un tiers et préjudice de la banque

Analyse de Jurisprudence Bancassurance

Mots clés

Crédits aux particuliers ; Crédit immobilier ; Prêt immobilier ; Annulation ; Préjudice de la banque ; Indemnisation

L’essentiel

Cassation pour absence de réponse aux « conclusions des vendeurs qui soutenaient que le préjudice subi par la banque ne pouvait excéder le montant de l’indemnité de résiliation anticipée qui aurait pu être mis à la charge des emprunteurs en l’absence d’annulation du prêt » et « sans rechercher, comme elle y était invitée, si le préjudice consécutif à la perte des intérêts conventionnels subi par la banque n’était pas, en tout ou partie, compensé par l’avantage lié à la restitution immédiate du capital emprunté ».

, avocate associée au Barreau de Paris, Avocap 2.2, ancien membre du Conseil national des barreaux

Analyse

L’analyse complète de cette jurisprudence est parue dans la Gazette du Droit bancaire N°8 du 25 février 2020 : Annulation d’un prêt bancaire pour faute d’un tiers et préjudice de la banque


La décision (texte intégral)

Cass. 1re civ., 14 nov. 2019, n° 18-21142, ECLI:FR:CCASS:2019:C100938, M. et Mme H. c/ Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France, D (cassation partielle CA Paris, 16 mars 2018), Mme Batut, prés. ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Thouin-Palat et Boucard, av.

Références

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 14 novembre 2019
N° de pourvoi: 18-21142
Non publié au bulletin Cassation partielle

Mme Batut (président), président
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s)


 

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Donne acte à MM. B… et D… P… et à Mmes N… et K… P… du désistement de leur pourvoi en ce qu’il est dirigé contre M. et Mme H… ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par acte authentique du 8 juillet 2011 reçu par Mme E… (le notaire), M. et Mme H… (les acquéreurs) ont, au moyen de prêts consentis par la Caisse d’épargne et de prévoyance Ile-de-France (la banque), acquis une maison à usage d’habitation en pleine propriété appartenant à MM. B… et D… P… et Mmes N… et K… P… (les vendeurs), avec le concours de la société Agence de l’hôtel de ville (l’agence immobilière), qui avait rédigé un avant-contrat ; qu’après avoir découvert, à l’issue de l’opération, qu’une partie du bien était en copropriété, les acquéreurs ont assigné les vendeurs, le notaire et l’agence immobilière en annulation de la vente et en paiement de dommages-intérêts ainsi que la banque en annulation des contrats de prêt, en se prévalant d’une réticence dolosive et de fautes du notaire et de l’agence immobilière ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa seconde branche, qui n’est pas nouvelle :

Vu l’article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour condamner les vendeurs, in solidum avec le notaire et l’agence immobilière, à payer à la banque au titre du préjudice subi une indemnité correspondant au montant des intérêts conventionnels qui auraient dû être versés par les acquéreurs jusqu’au terme du prêt, après avoir prononcé la nullité de la vente, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que, cette nullité ayant pour conséquence la nullité des prêts, la banque a perdu les intérêts conventionnels auxquels elle avait droit ;

Qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions des vendeurs qui soutenaient que le préjudice subi par la banque ne pouvait excéder le montant de l’indemnité de résiliation anticipée qui aurait pu être mis à la charge des emprunteurs en l’absence d’annulation du prêt, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa seconde branche :

Vu l’article 1382, devenu 1240 du code civil ;

Attendu que, pour statuer comme il le fait, l’arrêt énonce que la banque a perdu les intérêts conventionnels convenus ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le préjudice consécutif à la perte des intérêts conventionnels subi par la banque n’était pas, en tout ou partie, compensé par l’avantage lié à la restitution immédiate du capital emprunté, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne in solidum MM. B… et D… P…, Mmes N… et K… P…, Mme E… et la société Agence de l’hôtel de ville à payer à la Caisse d’épargne et de prévoyance Ile-de-France, à titre de dommages-intérêts, la somme de 92 789,30 euros correspondant aux intérêts à échoir, incluse dans celle de 126 975,79 euros, l’arrêt rendu le 16 mars 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la Caisse d’épargne et de prévoyance Ile-de-France aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille dix-neuf. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour MM. B… et D… P… et Mmes N… et K… P…

Il est reproché à l’arrêt partiellement infirmatif attaqué d’avoir condamné in solidum les consorts P… à payer à la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Ile-de-France la somme de 126.975,79 € à titre de dommages et intérêts, ensemble rejeté leur demande tendant à voir réduire le quantum de l’indemnité allouée de ce chef au montant des pénalités de remboursement anticipé prévues aux contrats de prêt ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE la nullité de la vente ayant pour conséquence la nullité des prêts, la Caisse d’épargne a perdu les intérêts conventionnels auxquels elle avait droit ; que s’agissant d’un préjudice indemnisable, c’est à bon droit que le tribunal a condamné in solidum les vendeurs, le notaire et l’agent immobilier à payer les intérêts à la Caisse d’épargne ; qu’au titre du prêt Primolis-3-Phases-AM n° 8837986, la somme de 33.146,49 € est due au titre des intérêts échus du 5 juin 2011 au 11 octobre 2016 et celle de 92.789,30 € au titre des intérêts à échoir, soit la somme de 125.935,79 € à titre de dommages-intérêts ; que la garantie subsistant tant que l’obligation de restitution inhérente au contrat de prêt n’est pas éteinte, il doit être fait droit à la demande de la Caisse d’épargne en paiement de la somme de 1.040 € correspondant aux frais de garantie, ce à titre de dommages-intérêts ; qu’en conséquence, les dommages-intérêts s’élèvent à la somme de 125.935,79 € + 1.040 € = 126.975,79 €, qui produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE l’annulation des contrats de prêt, entraînée par l’annulation de la vente, a privé la Caisse d’épargne du paiement des intérêts conventionnels auxquels elle avait droit ; qu’il ressort des contrats de prêts signés des emprunteurs, des tableaux d’amortissement des prêts ainsi que des décomptes établis par la Caisse d’épargne, non contestés par les parties, que le montant des intérêts conventionnels échus et à échoir s’élève à la somme totale de 125.833,82 € ; que le manque à gagner ainsi subi par la banque trouve sa source dans les fautes conjuguées des consorts P…, Me E… et l’Agence de l’Hôtel de Ville ; qu’en conséquence, le tribunal condamne in solidum les consorts P…, Me E… et l’Agence de l’Hôtel de Ville à payer à la Caisse d’Epargne la somme de 125.833,82 € à titre de dommages-intérêts ;

1/ ALORS QUE l’établissement de crédit n’a droit à la réparation du préjudice que lui cause l’annulation du prêt qu’il a consenti que dans la mesure où ce préjudice est certain, d’où il suit, en l’état de la faculté de remboursement anticipé dont dispose inconditionnellement l’emprunteur en matière de prêt immobilier, que l’indemnité allouée au titre de la perte des intérêts à échoir ne peut excéder le montant de l’indemnité de résiliation anticipée éventuellement prévue au contrat de prêt, lequel est plafonné à la valeur d’un semestre d’intérêts sur le capital remboursé au taux moyen du prêt, sans pouvoir dépasser trois pourcents du capital restant dû avant le remboursement ; qu’en considérant néanmoins qu’était indemnisable le préjudice résultant pour la Caisse d’épargne de la perte de la totalité des intérêts restant à échoir jusqu’au terme du prêt, représentant la somme de 92.789,30 € (arrêt attaqué p. 7, al. 6), cependant que ce préjudice ne pouvait être considéré comme certain, faute pour le prêteur de deniers de pouvoir exciper d’un droit acquis à la perception desdits intérêts, qui pouvait être remise en cause à tout moment du seul fait d’un remboursement anticipé, la cour d’appel a violé le principe de la réparation intégrale du dommage, sans perte ni profit pour la victime, l’article 1382, devenu 1240, du code civil, et les articles L. 312-21, devenu L. 313-47, et R. 312-2, devenu R. 313-25, du code de la consommation ;

2/ ALORS QU’ en tout état de cause, les consorts P… n’avaient pas manqué de soutenir qu’en l’état de la faculté de remboursement anticipé dont disposaient les consorts H…, le préjudice subi par la Caisse d’épargne du fait de l’annulation des prêts ne pouvait excéder le montant des indemnités de remboursement anticipé auxquelles lui donnait droit le contrat de prêt, ce dans la limite des plafonds réglementaires prévus par le code de la consommation (cf. ses dernières écritures p. 19 et ss., spéc. p. 19, § 7 et s., p. 20, deux derniers § et suite p. 21 ; v. aussi le dispositif de ces mêmes écritures p. 22, al. 9) ; que faute de s’être expliquée sur ce moyen pertinent, la cour d’appel a entaché son arrêt d’un défaut de réponse à conclusion, en violation de l’article 455 du code de procédure civile. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme E…

Il est fait grief à l’arrêt partiellement infirmatif attaqué d’AVOIR condamné Mme E… in solidum avec les vendeurs et l’agence immobilière à payer à la Caisse d’épargne et de prévoyance d’Île-de-France la somme de 126 975,79 euros de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt ;

AUX MOTIFS QUE la nullité de la vente ayant pour conséquence la nullité des prêts, la Caisse d’épargne a perdu les intérêts conventionnels auxquels elle avait droit ; que s’agissant d’un préjudice indemnisable, c’est à bon droit que le tribunal a condamné in solidum les vendeurs, le notaire et l’agent immobilier à payer les intérêts à la Caisse d’épargne ; qu’au titre du prêt Primalis-3-Phases-AM no 8837986, la somme de 33 146,49 euros est due au titre des intérêts échus du 5 juin 2011 au 11 octobre 2016 et celle de 92 789,30 euros au titre des intérêts à échoir, soit la somme de 125 935,79 euros à titre de dommages-intérêts ; que la garantie subsistant tant que l’obligation de restitution inhérente au contrat de prêt n’est pas éteinte, il doit être fait droit à la demande de la Caisse d’épargne en paiement de la somme de 1 040 euros correspondant aux frais de garantie, ce, à titre de dommages-intérêts ; qu’en conséquence les dommages-intérêts s’élèvent à la somme de 125 935,79 + 1 040 euros = 126 975,79 euros qui produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt (arrêt, p. 7, al. 7-9) ;

ET AUX MOTIFS RÉPUTÉS ADOPTÉS QUE sur la demande de dommages-intérêts de la Caisse d’épargne, l’annulation des contrats de prêt, entraînée par l’annulation de la vente, a privé la Caisse d’épargne du paiement des intérêts conventionnels auxquels elle avait droit ; qu’il ressort des contrats de prêt signés des emprunteurs, des tableaux d’amortissement des prêts ainsi que des décomptes établis par la Caisse d’épargne, non contestés par les parties, que le montant des intérêts conventionnels échus et à échoir s’élève à la somme totale de 125 833,82 euros ; que le manque à gagner ainsi subi par la banque trouve sa source dans les fautes conjuguées des consorts P…, de Maître E… et de l’Agence de l’hôtel de ville ; qu’en conséquence, le tribunal condamne in solidum les consorts P…, Maître E… et l’Agence de l’hôtel de ville à payer à la Caisse d’épargne la somme 125 833,82 euros à titre de dommages-intérêts (jugement, p. 26, al. 3-7) ;

1°) ALORS QU’en cas d’annulation d’un contrat de prêt consécutive à l’annulation d’un contrat de vente immobilière, la perte par la banque des intérêts conventionnels à échoir n’est pas un préjudice indemnisable ; qu’en retenant le contraire pour condamner la notaire à indemniser la banque au titre de la perte des intérêts conventionnels à échoir, à hauteur de 92 789,30 euros, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil, devenu l’article 1240 du même code dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

2°) ALORS QU’en toute hypothèse, il doit être tenu compte, dans la détermination du préjudice, des avantages que la victime a pu retirer de la situation prétendument dommageable ; qu’en condamnant la notaire à indemniser la banque de la perte des intérêts conventionnels jusqu’au terme des contrats de prêt, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée (cf. conclusions d’appel de Mme E…, p. 21, al. 9), si du fait de l’annulation de la vente, la banque avait recouvré la disposition des fonds prêtés et pouvait dès lors les prêter à nouveau, de sorte que la situation prétendument dommageable lui procurait un avantage dont il devait être tenu compte, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil, devenu l’article 1240 du même code dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016.


ECLI:FR:CCASS:2019:C100938

Analyse

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 16 mars 2018

 

Source : Legifrance